Inchallah. La vie en sait plus que nous.

« Ne dites jamais d’une chose : « Je ferai sûrement ceci demain », sans dire : « Si Allah le veut ». Souvenez-vous de votre Seigneur lorsque vous avez oublié de le dire et dites : « J’espère que mon Seigneur me guidera dans une direction encore meilleure ». »

Inchallah ! Pendant les presque deux mois que j’ai passés au Maroc, je l’ai entendu répéter des centaines de fois. Parmi les gens qui discutent entre eux dans la rue. A la radio. Devant les mosquées. Des hommes qui parlent au téléphone. Et même à la fin de plusieurs de mes discours. Non, ce n’est pas moi qui l’ai dit mais les personnes devant moi qui l’ont ajouté à la fin de certaines de mes phrases. Et c’est là que j’ai commencé à me demander sérieusement ce que cela signifiait. Je ne parle pas de la signification littéraire, je le savais déjà, mais des implications culturelles et, plus encore, de la configuration mentale qui y est attachée. Oui, car c’est bien plus qu’une expression.

C’est quelque chose qui a à voir avec la façon dont nous prenons nos actions, nos désirs, la vie en général, surtout en ce qui concerne l’avenir. En outre, nous, Occidentaux, avons grandi dans la culture de l’action et de la volonté personnelle et nous oublions souvent que tout ce qui arrive n’est pas exclusivement une conséquence directe de ce que nous faisons.

Nous ne sommes pas les seuls. Et la vie en sait plus que nous…

C’est le cas, et c’est vrai. Nous le savons tous, mais nous l’oublions. Et ce mot me l’a rappelé, profondément rappelé.

Mais je laisse maintenant la parole à Barbara Cassioli, notre collaboratrice et éditrice du blog Viaggiare a Piedi Scalzi, qui a vécu au Maroc et qui, pour cette raison, a changé certaines de ses habitudes mentales.

 » Inchallah  » (إن شاء الله), comme en témoigne Elena, est le premier mot que les personnes qui se rendent dans un pays musulman apprennent en arabe.

Je l’écoute depuis que j’ai commencé à travailler en tant que travailleur social en Italie et pendant longtemps, elle m’a rendu nerveux. Face à des expressions comme « Inchallah vont-ils me donner le permis de séjour », dans ma tête la réponse était toujours et seulement : « En fait c’est la Questura qui le délivre et si tu n’as pas les conditions requises, tu l’oublies ! ».

Nous sommes immergés dans un monde de praticité, de concret et d’autodétermination et la spiritualité, si elle existe, est déléguée à une sphère purement privée ; nous ne sommes donc pas habitués à penser de cette manière.

Mais il est vrai que ce sont les personnes qui donnent le sens qu’elles veulent à ce mot, qui peut prendre les tons de la délégation/réaffectation ou ceux de la confiance/paix totale. Il y a une grande différence entre un « Inchallah, je trouverai un emploi » (mais je ne détruis même pas de cv) et un « … mais si je ne le trouve pas ici, je comprends que mon chemin peut être ailleurs et de toute façon je vais m’activer ». « Inchallah » est un mode de vie, fascinant, multiforme, complexe, comme tous les êtres humains qui, par religion ou croyance, l’adoptent.

Donc parfois, en Afrique du Nord, cela devient aussi une façon de dire « NON » quand on ne veut pas le faire directement (je me souviens d’une fille qui était dans le même cours de gym que moi à Casablanca, qui une demi-heure avant le cours un jour a dit « Inchallah, à plus tard ! ». Elle n’est pas venue au gymnase ce jour-là. J’ai toujours le doute « Attaque inattendue ou paresseuse ? »).

Parfois, c’est aussi une excuse pour se déresponsabiliser (et là, mon expérience d’éducateur y est pour beaucoup !), ou encore une habitude linguistique, comme un accent et, en même temps, une forme de respect pour Allah, une façon de Le remercier à chaque occasion et de se souvenir de sa position vis-à-vis de Lui.

J’ai entendu la phrase ci-dessus avec mes oreilles tant de fois et ce n’est que lorsque je me suis arrêtée et que j’ai écouté dans mes tripes la personne qui la prononce pour ce qu’elle est vraiment, que j’ai réalisé que c’est en fait le plus beau mot du monde et que c’est aussi le mien.

Faire confiance à Dieu, à l’Univers, à la vie ne signifie pas attendre que ce que vous voulez tombe du ciel.

Cela signifie affronter les jours avec courage, suivre son cœur, courir après ses rêves, mais sans anxiété.

Avec la confiance que oui, peut-être que nous ne comprenons pas maintenant mais que nous comprendrons plus tard… Peut-être que quelque chose nous est enlevé pour nous donner, un jour, quelque chose de plus beau.

Je suis, ou du moins j’essaie, j’essaie de ne pas être têtu. Croire que tout cela a (ou aura) un sens, que oui, il y a quelque chose de plus grand dont nous faisons partie.

Vivre au Maroc signifie que, tôt ou tard, vous commencez à dire « Inchallah » aussi, mais surtout vous commencez à réaliser que vous y croyez aussi, ou peut-être que vous y avez toujours cru. »